Interview réalisée par Julien Boucher - Ronin Productions en mars 2020
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Dojo Shiseijuku - Nerima - Tokyo
Pouvez-vous vous présenter ?
J'ai débuté par le karaté Shōtōkan en 1987. Je suis actuellement 6ème dan de karaté et 2ème dan de Ryûkyû kobudo - Seiryûkan.
J'enseigne à Romorantin-Lanthenay depuis janvier 1990.
Je suis professeur des Écoles, spécialisé, titulaire d'un BEES 1 et d'un DEJEPS de karaté.
J'ai été l'un des co-organisateurs des soirées de Pro Fight Karaté, circuit de karaté professionnel créé par Guy Sauvin et Alain Setrouk.
Racontez-nous vos débuts dans le monde des arts martiaux. Comment êtes-vous arrivé à la pratique des arts martiaux ? Par quel art ? Quel maître ? Quel dojo ?
Enfant, j'ai pratiqué le judo pendant 3 ans.
En 1987, j'ai effectué une formation professionnelle complémentaire d'une année sur Paris. J'étais hébergé par un ami qui pratiquait le karaté. Je l'ai accompagné rue des Rigoles, au dojo de l'ASPTT. La discipline m'a plu. Je me suis inscrit.
Qu'est ce qui vous a plu ? Ce qui vous a fait aimer les arts martiaux ? Ce qui vous a poussé et continue à vous pousser à continuer ?
À cette époque, je faisais beaucoup de photos et très peu d'activités physiques à part sortir en boîte. Je suis venu au karaté pour pratiquer une activité physique. Dans le cadre de ma formation professionnelle, je suivais des cours de psychologie. En même temps, j'ai découvert les chroniques d'Henry Plée dans Karaté Bushido. Je pense que tout cela combiné m'a permis de donner un sens à ma vie. En plus, j'ai eu la chance que ma femme, Muriel, se mette aussi au karaté. Nous pratiquons toujours ensemble 33 ans après.
Pour vous, qu'apportent les arts martiaux du point de vue physique, mental et spirituel ?
La pratique du karaté m'a énormément apporté sur le plan physique.
On pense que le karaté permet de développer des qualités de persévérance, de rigueur. Vu les taux d'abandon dans le karaté (enfants et adultes) j'en doute. Je pense plutôt que restent ceux qui ont déjà ces qualités. Dans mon cas, j'avais déjà des qualités de persévérance, de volonté qui venaient de mon éducation, de mon père.
Je dirai plutôt que le karaté m'a donné des satisfactions, entre autres lorsque j'ai terminé les combats de mon 1er puis mon 2ème dan à 32 ans.
Sur le plan intellectuel, le karaté m'a fait découvrir une culture, une langue (le Japonais) et des Hommes.
Sur le plan humain, le karaté a bouleversé ma vie. Je l'ai construit et celle de ma famille autour de cette pratique. J'ai fait de belles rencontres. Je pense que le karaté et les arts martiaux en général permettent de vivre une aventure humaine, pour peu que l'on soit sincère.
Avez-vous des références de maîtres ? Des exemples qui vous ont motivé et vous motivent toujours ?
Après un an de pratique à l'ASPTT Paris, je suis revenu à Romorantin. Le club était dirigé par P. Guérin qui était ceinture marron à l'époque. Il a dû partir pour des raisons professionnelles et je me suis retrouvé un peu par hasard, après un intérim assuré par A. Croiset, avec la responsabilité du club alors que je n'avais qu'à peine plus de 2 ans de pratique. J'ai été aidé et soutenu dans cette tâche par Guy Bigot, le professeur du club de Blois, à 40 km de chez moi. J'ai fréquenté son dojo pendant près de 20 ans, à raison d'un entraînement hebdomadaire. Cela m'a énormément apporté.
Étant enseignant, j'ai aussi profité de mes congés estivaux pour effectuer 1, 2 voire 3 stages d'été avec divers experts. Au début, Thierry Mascy (5 ans) et Serge Chouraqui (encore aujourd'hui). Puis, j'ai fréquenté les stages de Gilbert Gruss à Biarritz, pendant 7 ans.
Enfin, en 2002, j'ai rencontré Guy Sauvin à son retour en France. Il a radicalement fait évoluer ma pratique. Même si tous les maîtres cités m'ont apporté une part de ce que je suis, Guy Sauvin a donné une cohérence à tout ce que j'avais pu apprendre.
J'ai eu aussi la chance de rencontrer Jan Kallenbach lors de plusieurs stages de Taikiken. Je l'ai invité deux fois à Romorantin. Ce sont toutes ces rencontres, toutes ces découvertes qui m'ont motivé et me motivent toujours.
Stage de Karaté martial - Energie interne au Centre National d'Entraînement de Montpellier
Vous pratiquez le Karaté Martial - Énergie interne mais aussi le Nihon karate-dô Shiseijuku et le Ryûkyû Kobudô- Seiryûkan. Pourquoi pratiquer et enseigner ces 3 arts ? Sont-ils complémentaires ?
Je pratique le karaté martial, et à travers lui, une manière d'appréhender, d'utiliser le corps. Guy Sauvin enseigne le karaté martial à travers des principes (enracinement, intériorisation des techniques, relâchement musculaire…). Son enseignement est issu de différentes écoles : karaté, taikiken, taichi. Ses élèves viennent de différents horizons : Shōtōkan, Shōtōkai, Uechi-ryū. Il ne m'a pas enseigné de kata excepté un taolu de taichi et Suparimpei. Par contre, ma pratique des katas a radicalement changé à son contact. J'ai enrichi ma pratique de tout ce qu'il m'a enseigné et je continue en ce sens. Il m'a permis de dépasser la technique, d'accéder à un autre niveau de pratique.
La partie Énergie interne de l'école est assurée par Bernard Sautarel, un pratiquant de Karaté, de Full, de Qigong, de Taichi… Il est exceptionnel.
J'ai rencontré Fuse sensei et ai découvert son école Shiseijuku en 2009 à Tokyo. J'ai trouvé des similitudes entre son enseignement et celui de Guy Sauvin. Je l'ai fait venir à 4 reprises en France et il nous a demandé, à Muriel et à moi-même, de poursuivre l'enseignement des principes de son école. Nous avons donc intégré Naihanchi shôdan, le seul kata qu'il m'ait transmis, à notre enseignement. Pour le reste, les principes qu'il m'a enseignés sont dans le karaté martial de Guy Sauvin. Les mêmes principes avec une approche différente, des mots différents mais les mêmes sensations, la même finalité, l'efficacité en combat.
L'école Seiryūkan de Miyazato Kōsuke sensei est l'héritière du karaté originel de Funakoshi Gichin sensei. Elle pratique encore le karaté que Funakoshi enseignait à Okinawa et dans son "dojo" de la pension Mesei Juku à Tokyo en 1922, à ses élèves proches. Ce karaté ne correspond pas au karaté originel qu'il a profondément modifié pour l'enseigner aux universitaires japonais et qui est devenu le Shōtōkan. Je suis donc venu découvrir cette école pour des raisons historiques, pour comparer des katas, pour comprendre une évolution. Lors de ce séjour, j'étais accompagné par quelques amis curieux eux de découvrir le kobudō. Cela tombait bien, le dojo est un des meilleurs de l'île. Au-delà de ça, j'ai énormément apprécié leur travail, leur utilisation du corps. Il y avait encore beaucoup de similitudes avec l'enseignement de Guy Sauvin mais aussi des différences. Je cherche à comprendre. J'ai intégré les principes du karaté martial à ma pratique du kobudō. Et les retours de la part de Miyazato sensei et des gradés du hombu dōjō sont très positifs. Du coup, ils me montrent pleins de trucs que je n'avais pas perçus.
Il y a donc une cohérence. J'enseigne et je pratique les principes du karaté martial, que ce soit en karaté, en taikiken, en kobudō, en kumite ou en kata.
Que représente la ceinture noire pour vous ?
Un très bon souvenir. J'étais au début d'une aventure et je ne le savais pas. Le shodan est une étape importante. Certains poursuivent et entrent dans l'art martial. D'autres en restent là et arrêtent peu de temps après.
À Okinawa, passer le shodan dans un dojo traditionnel équivaut à entrer dans une école, dans une famille. C'est un moment essentiel qui réunit tous les gradés de l'école, du 7ème au 10ème dan et qu'il faut savoir apprécier. Plus tard, on revit cela quand on passe le 6ème dan. Ma femme a eu la chance de les vivre deux fois. À Okinawa au dojo Seiryūkan, mais aussi quelques années auparavant, quand, après son passage de 2ème dan, Guy Sauvin est venue la féliciter. Cela ne s'oublie pas !
En plus de votre pratique en tant qu’enseignant, avez-vous une routine personnelle chez vous ?
J'ai la chance d'avoir pu constituer un groupe de gradés à Romorantin. Nous suivons l'enseignement de Guy Sauvin depuis plusieurs années et notre entraînement est dirigé en ce sens. Je n'assure qu'un cours pour débutants par semaine. Ainsi, j'ai toujours préservé beaucoup de temps pour mon entraînement personnel. Chez moi, je m'entraîne quand l'envie me prend. Le matin, au lever pour exécuter quelques exercices de Qigong, le soir pour faire quelques katas. Je pratique n'importe où : dans le jardin, le séjour, la cuisine… Parfois deux minutes, parfois une heure. Tout est bon à prendre. Le dojo municipal est à deux pas. J'y vais aussi le week-end avec ma femme ou quelques amis.
Quelle est la place des katas dans le karaté, dans votre karaté ?
Pendant longtemps, je me suis beaucoup entraîné en katas et en bunkai. Actuellement, je les pratique de moins en moins, excepté en kobudō. Je dois en avoir moins besoin.
Les katas sont des outils. À l'origine, ils étaient un moyen de transmission, de mémorisation des techniques. Ils pouvaient avoir une valeur de legs, de la part d'un maître à ses disciples. Avec les moyens actuels (vidéos - livres) ils perdent beaucoup de cet intérêt.
Deux approches du kata sont possibles. Premièrement, le kata est parfait. Si des passages, des applications ne semblent pas cohérentes, logiques, il faut en chercher les raisons. Ainsi, même si la forme n'évolue pas, la pratique évolue. Fuse sensei ne m'a transmis qu'un seul kata, Naihanchi shodan, dans une forme du Shorinji ryû. Il m'a aussi transmis cette façon d'appréhender le kata, comme un outil permettant de conduire ma réflexion sur ma propre pratique.
Deuxièmement, le kata peut-être un outil de travail technique, de recherche de bunkai, un moyen de s'entraîner seul. Même si sa forme n'évolue apparemment pas trop, le fond est sans cesse en évolution.
La pratique des katas n'est pas une finalité en soi. La pratique des katas a pour objectif de permettre d'améliorer l'efficacité en combat.
Festival des arts martiaux 2012
Quelle est la place des saluts, du cérémonial reishiki dans les arts martiaux ? Quel regard portez-vous dessus ?
Les saluts et l'étiquette proviennent des budō, les arts martiaux japonais. Au dojo de Fuse sensei, les saluts, la manière de se lever, de faire demi-tour étaient issus de sa pratique du sabre (Fuse sensei est 6ème dan de iaidō). Ses explications étaient intéressantes et j'en ai fait profiter mes lecteurs dans mon ouvrage Karaté Initiation.
Au dojo de Miyazato sensei, il n'y a pas de salut en début de cours. On arrive, on se dit bonjour, on se change et c'est parti ! Il y a trois saluts en fin de cours, mais dans la façon de les faire, il n'y a pas cette rigueur que l'on trouve au Japon.
Les saluts aux différents maîtres qui constituent la filiation de l'école sont liés aux religions shinto et bouddhiste et au culte des ancêtres qui y est pratiqué.
Sur le plan personnel, je n'y attache pas trop d'importance. Ce qui m'importe, c'est d'être pleinement présent et investi dans la pratique.
Vous êtes parti à Okinawa en 2008 et depuis vous vous y rendez régulièrement pour vous y entraîner. Ce qui vous a permis de rencontrer de nombreux Sensei de l'île. Est-il facile de passer la porte des dojos d'Okinawa ? Que vous ont apporté ces voyages à la source du karaté ?
Je suis parti à Okinawa à la suite d'une invitation de Bernard Cousin, 7ème dan, représentant Higaonna Morio sensei en France. Cela a été un choc ! Le mythe du karaté japonais s'écroulait et je découvrais le karaté d'Okinawa. Pour ce premier séjour, je me suis inscrit au stage de 5 jours qui était proposé par l'école de Higaonna sensei. Ce fut super.
L'année d'après, je suis allé à Tokyo. J'ai pu me rendre au dojo de Fuse sensei grâce à un ami qui pratiquait le Shorinji de Nakazato Joen sensei (école de Kyan), Eric Fournier. C'est lui qui m'a permis de rencontrer Fuse sensei. J'ai fréquenté ce dojo jusqu'en 2017, date à laquelle Fuse sensei a cessé son enseignement.
L'année suivante, en 2010, Tadashi, le seul élève de Fuse sensei qui parlait anglais avait changé de dojo. Il pratiquait le taijutsu et le kodachi (sabre court) avec Tanaka Koshiro sensei. Je suis donc allé m'entraîner aussi avec eux. Tanaka sensei louait à la veuve de Nakayama Masatoshi sensei, le dojo Hoitsugan. Un dojo mythique pour les pratiquants de Shotokan-JKA.
J'ai aussi rendu visite à Sato sensei à Fukuoka (le prof d'Eric Fournier), à Shimada sensei (Taikiken - Tokyo). J'ai découvert l'école Todōkai (Shōtōkan) à Gotemba (Japon), grâce à Éric Lejeune et Alain Faucher, les deux responsables de l'école de Yamaguchi Toru sensei.
Et puis en 2015, retour à Okinawa pour y découvrir le Funakoshi ryū de Miyazato sensei. J'avais appris son existence par l'intermédiaire de Viet, un français vivant sur place. Mon ami Miguel Da Luz a fait le nécessaire pour que je puisse venir m'y entraîner. En gros, pour intégrer un dojo, il faut être présenté. Mais le plus important et le plus difficile, c'est d'y revenir. Les sensei n'ont pas vraiment envie de perdre leur temps avec des pratiquants de passage. J'ai un autre atout, ma femme Muriel, elle met une bonne ambiance. Le fait de venir à deux, de s'intéresser à autre chose que le karaté est important (culture, gastronomie, histoire, arts).
L'enseignement martial des dojos d'Okinawa est-il différent de ceux en France ?
Cela n'a rien à voir ! En 2008, j'étais 5ème dan, en 2015, 6ème dan. Le sensei en tient compte. Il vous jauge puis vous propose quelque chose. Si vous êtes sincère dans votre démarche, si vous essayez de découvrir, tout se passe bien. Alors que j'ai toujours suivi des cours collectifs, je n'ai jamais fait de kihon basiques plus de quelques minutes. Par contre, ce qui m'a surpris, c'est l'absence de cours dirigés tels qu'on les propose en France. Il est vrai que je ne fréquente que des petits dojos (par la surface). Actuellement au dojo Seiryūkan, on passe devant le maître, pour taper un ou plusieurs katas, puis on va sur la terrasse s'entraîner avec l'aide des gradés. C'est intéressant car assez vite on comprend qu'il va falloir se prendre en charge ! Mais aussi la transmission se fait I shin den shin, ce que l'esprit pense, le coeur le transmet. Cependant, tous les dojos à Okinawa ne fonctionnent pas comme les dojos que j'ai fréquentés. Certains proposent des cours classiques, assez proches des standards européens.
Vous êtes l'auteur de plusieurs livres sur le karaté, qui sont bien connus et appréciés du public. Pourquoi avoir décidé d'écrire ces ouvrages et avez-vous d'autres envies dans ce domaine ?
Au départ, je voulais faire un petit fascicule pour mes élèves, un truc photocopié, tout simple. Et puis 1 ou 2 ans après, j'ai rencontré Roland Haberstzer lors d'un stage organisé à Metz par Gilbert Gruss. Quand il m'a raconté comment il avait contacté Hachette, je me suis dit que j'allais faire de même. J'ai contacté Thierry Plée, créateur de Budo éditions. Le projet lui a plu et environ deux ans après il a publié L'essentiel du karaté Shōtōkan. Je lui ai ensuite proposé l'ouvrage sur les Katas supérieurs du karaté Shōtōkan. Karaté Initiation et Karaté Perfectionnement sont des commandes de sa part. La partie historique y est plus développée.
Par ailleurs j'ai beaucoup travaillé sur le livre de Guy Sauvin, Histoire du karaté français. J'ai restauré les photos, fait la mise en page… C'était super intéressant.
Je suis actuellement sur un projet avec un ami autour des kyushō, mais je n'en suis qu'au début.
Quels sont vos projets ?
Je suis toujours pleinement investi dans le karaté martial de Guy Sauvin. Je l'enseigne quasi-quotidiennement, dans mon dojo ou lors de stages. Je m'entraîne très régulièrement avec lui. J'ai encore tant de choses à découvrir, à travailler.
En France, à la demande de Miyazato sensei, je développe l'école Ryûkyû kobudô - Seiryūkan. J'ai quelques dojos qui me suivent en Région Centre. Par ailleurs, je développe un partenariat avec l'école Todōkai représentée par Éric Lejeune en France. Cette école a intégré la pratique des armes dans son cursus et me demande d'intervenir dans ce domaine.
Enfin, je retourne dès que possible à Okinawa !