Le karaté s'est développé à partir du XIXème siècle sur l'île d'Okinawa. Lorsqu'il est arrivé en Europe en provenance du Japon, cet art martial méconnu véhiculait de nombreuses images : le karatéka était un combattant aux pouvoirs extraordinaires, s'entraînant seul dans la montagne après une initiation au dojo d'un vieux maître détenteur de secrets millénaires. L’image du samouraï, le mythique guerrier japonais lui était associé. Des films comme ceux de Bruce Lee ou Karate Kid ont renforcé cette croyance.
Actuellement, l'enseignement du karaté au Japon a lieu généralement dans les Community center, des bâtiments municipaux qui regroupent les services administratifs, une crèche, une cafétéria et des salles de sports. Les clubs de karaté y ont des créneaux horaires, entre la danse et le kendo, comme en France ! Nous sommes bien loin de l’image idéalisée du dojo traditionnel.
Certaines grosses organisations à l'audience internationale (JKA, SKI) ont leur propre dojo privé dans les grandes villes. L'ambiance y est généralement studieuse, mais il n'est pas toujours aisé de côtoyer le maître des lieux.
À Okinawa, berceau du karaté, il est encore possible de trouver des dojos familiaux, où l'art de la main s'y enseigne les yeux dans les yeux. Au Japon, dans une ville comme Tokyo, il est plus difficile de trouver une adresse, mais avec un peu d'opiniâtreté et d'humilité, il est encore possible de trouver le graal, un véritable dojo privé !
Le dojo de Fuse Hiroyuki sensei est situé à Nerima, un des 23 arrondissements de Tokyo, dans une petite rue, au fond d'une impasse. Voici l'interview d'un samouraï, qui vient pour la 4ème fois en France!
Au début, le Shôtôkan
Officiel Karaté : Sensei, pouvez-vous vous présenter ?
FUSE Hiroyuki : Je suis né en décembre 1939. Je suis 8ème dan de karaté, 7ème dan de jôdô (bâton court de 1,20 m) et 6ème dan d'iaidô (sabre).
OK : Quand et par quoi avez-vous débuté votre pratique dans les arts martiaux ?
FH : J’ai vécu jusqu’à l’âge de 14 ans à la campagne, chez un oncle. Lorsque je suis arrivé à Tokyo, j’ai subi des brimades de la part de jeunes citadins. D’une nature plutôt bagarreur je ne me suis pas laissé faire, j'avais envie d'être plus efficace. En 1958, il y avait un parc près de chez moi où des pratiquants de Shôtôkan s'entraînaient le dimanche matin. Je suis allé m'entraîner avec eux. Ensuite, lorsque j'ai intégré l'administration fiscale, je me suis inscrit au dojo Shôtôkan qui se trouvait sur mon lieu de travail. Le dojo était affilié à la JKA et dirigé par Dobashi sensei.
OK : Vous avez donc commencé par le karaté shôtôkan, avant de découvrir le Shôrinji ryû.
FH : J'ai pratiqué le shôtôkan durant 9 ans. J'ai participé à quelques compétitions. Ensuite, après mon mariage, j'ai été muté et j'ai cherché un dojo proche de mon lieu de travail. C'est ainsi que j'ai découvert le karaté Shôrinji, le Shôrinji de Kagoshima. Le dojo était dirigé par Kawamoto sensei, qui a plus tard fondé la Nihon Kindosha Karatedô. Pendant quelques années j'ai pratiqué les deux styles, le Shôrinji au dojo, et le Shôtôkan seul, chez moi.
OK : Vous avez fini par arrêter la pratique du Shôtôkan ?
FH : Oui, lorsque j'ai intégré le Shingankan dirigé par Nagano sensei. J'avais décidé de faire des recherches sur les origines du karaté. C'est à cette époque que j'ai commencé à me rendre tous les ans à Okinawa, le berceau du karaté. J’y suivais l’enseignement de Nakazato Joen sensei, de l'école Shorinji. Il était le plus proche élève de Chotoku Kyan sensei. Sa connaissance du karaté était profonde. Nakazato sensei m’a transmis les 7 katas de l’école Shorinji et Tokumine no kun, un kata de bâton. Il m’a expliqué que les formes (katas) étaient parfaites, qu’il n’y avait rien à changer. J’ai compris que ces katas allaient me servir de support de réflexion. Tant que j’avais un doute quant à une séquence du kata, je devais encore chercher, expérimenter. Je cherche encore !
À Okinawa, j'ai aussi découvert les kobudô, plus particulièrement l'école de Taira Shinken. (Bien qu'il les pratique et les enseigne, Fuse sensei n'a jamais passé de grades en kobudô)
L'école Shiseijuku
OK : A l’époque de votre rencontre avec Nakazato sensei, vous aviez commencé à enseigner ?
FH : Oui, j'enseignais dans des dojos municipaux. Ensuite, j’ai ouvert mon dojo, au rez-de-chaussée de ma propre maison en 1977.
OK : Pourquoi avez-vous créé votre école ?
FH : J'ai quitté le Shingankan, sur des désaccords techniques. J'ai donc fondé l'école des hommes sincères (Shiseijuku) en 1999. Je suis libre. Je ne suis soumis à aucune tradition. J'y poursuis mes recherches sur l'origine du karate-dô et plus particulièrement sur le tî, la plus ancienne forme connue de l'art du combat d'Okinawa.
Karaté, sabre, bâton…
OK : Outre le karaté et le kobudô, vous pratiquez aussi le jodô et l'iaidô. Pourquoi avoir fait le choix de pratiquer ces deux budô japonais ?
FH : J'ai débuté l'iaidô en 1975. L'année suivante je me suis mis au jodô, au Budokan, puis j'ai intégré l'école Shintô Musu Ryû. (Fuse sensei connaît les 72 katas de l'école et a participé avec succès à plusieurs compétitions nationales.) En étudiant Naifanchi (Tekki shodan), la forme pratiquée par Motobu Choki sensei, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il fallait mettre sa conscience dans les muscles situés dans la région lombaire. J'ai pratiqué le sabre et le bâton court dans cette optique, pour améliorer ma perception des muscles lombaires.
OK : Et après plus de 55 ans de pratique, que faites-vous ?
FH : Je continue à m'entraîner quotidiennement, je poursuis mes recherches et je partage mes découvertes avec quelques élèves qui me font l'honneur de venir me voir. Je leur évite certains égarements, certaines impasses.
De ton âme à mon âme…
OK : Qui sont vos élèves ?
FH : A l'origine, les budô ne s'enseignaient qu'aux proches, qu'aux membres d'un même clan. L'enseignement de masse n'existait pas. Le maître choisissait ses élèves. Il n'enseignait pas à certaines personnes s'il estimait qu'elles avaient l'esprit perverti. Je fais un peu pareil. A bientôt 78 ans, je ne prends plus de nouveaux élèves. Je n'enseigne plus qu'aux kodansha (5ème dan et plus). Je cherche à leur transmettre des principes, ils travaillent de leur côté, ils reviennent me voir…
OK : L'enseignement est individualisé…
FH : Oui, je fais cours à des petits groupes. De toute façon, le dojo est petit ! (rires)
J'enseigne I shin den shin, de mon âme à ton âme, de mon corps à ton corps. C'est plus rapide, plus efficace. Mais il faut que l'élève ait le niveau suffisant pour comprendre, pour percevoir la sensation.
Muriel et Stéphane Fauchard fréquente le dojo Shiseijuku depuis octobre 2009.
Fuse sensei vient en France depuis 2013. Il a chargé Muriel et Stéphane Fauchard de transmettre les valeurs et principes enseignés dans son école.
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