Le cimetière de Makabi
Au nord-est de Naha, dans le quartier de Makabi, il existe un petit cimetière relativement récent, entouré d'immeubles de bureaux et de maisons individuelles. La plupart des sépultures datent du début des années 2000. Les familles ont dues transférer les cendres de leurs ancêtres après une expropriation. Ce lieu est connu de quelques spécialistes de l'histoire du karaté okinawaïen comme étant le cimetière des Maîtres du Shurite. En effet, les maîtres Matsumura, Itosu et Hanashiro y reposent.
Les familles de ces maîtres fréquentent toujours ces sépultures familiales. Il ne m'est donc pas possible de révéler plus précisément où se trouve ce cimetière.
Cependant, je vous propose de vous présenter ces trois maîtres et les rôles qu'ils ont joué dans la transmission du Shurite et dans son évolution vers le Shôrin (Okinawa) et le Shôtôkan (Japon).
Les maîtres Hanashiro, Matsumura et Itosu
Matsumura Sokon (1809 – 1899)
Parfois appelé Bushi Matsumura (Matsumura le guerrier), il serait devenu le disciple du grand maître Tode Sagukawa vers l'âge de 14 ans.
Matsumura sensei était aussi un excellent combattant en kenjutsu, de l'école japonaise Jigen ryû, du clan Satsuma.
Calligraphe et érudit, il devient un haut fonctionnaire du gouvernement des Ryù Kyù. A ce titre, il fit partie des deux délégations okinawaïennes qui se rendirent en visite officielle au Japon. Dans le cadre de ces activités professionnelles, il aurait effectué un voyage en Chine.
Matsumura Sokon est surtout connu pour avoir été le garde du corps de trois rois successifs des Ryû Kyû. Il protégea entre autre Sho Ko, souverain à la vie dissolue qui fréquentait assidument les bas-fonds. Il existe de nombreuses histoires plus ou moins légendaires sur la vie de ce maître.
Matsumura Sokon eut pour élèves plusieurs maîtres qui sont à l'origine du karaté Shurite, qui s'appelle Shorin ryû actuellement : Itosu Yasutsune et Azato Yasutsune, les deux maîtres de Gichin Funakoshi, mais aussi à ce dernier, et à Yabu Kentsu, Hanashiro Chomo et Kyan Chotoku, pour ne citer que les plus connus.
Matsumura Sokon
Itosu Ankoh (1832 – 1915)
Erudit et calligraphe, Itosu Ankoh (Yasutsune en japonais) devint secrétaire au palais du Roi des Ryû Kyû. Il étudia le Tode sous la direction de Bushi Matsumura, puis de Gusukuma sensei, de Nagahama sensei avant de revenir suivre l'enseignement de Matsumura. Il eut pour camarade de pratique son ami Azato Ankoh (Yasutsune), qui fut le premier professeur de Funakoshi Gichin qui diffusa largement le karaté au Japon à partir des années 20.
A plus de 70 ans, Itosu sensei fut chargé d'enseigner le karaté au collège de Shuri et à l'Ecole Normale d'Okinawa. Il choisit parmi ses premiers et plus proches élèves Yabu Kentsu et Hanashiro Chomo pour le seconder.
Itosu Yasutsune modifia de nombreux katas et leur donna une dimension plus gymnique, comme dans les petites formes (shô) de Bassai et Kanku. Il créa les katas Pinan (Heian) pour adapter le karaté à l'enseignement dans les écoles. Il modifia sensiblement les katas originels Tekki et Useishi, pour en faire plusieurs formes nouvelles (3 Tekki et 2 Gojushiho).
On peut considérer Itosu sensei comme le créateur et le vulgarisateur d'un karaté scolaire (dont l'héritier est le Shorin ryû), différent du karaté traditionnel aux origines chinoises.
Itosu Ankoh
Hanashiro Chomo (1869 – 1945)
Après avoir fait des études supérieures (lycée), Hanashiro Chomo fut l'un des rares Okinawaïens avec Yabu Kentsu à s'engager dans l'armée japonaise.
Il fut l'un des premiers élèves de Itosu sensei Ce dernier le choisit, ainsi que Yabu Kentsu, pour l'assister lors de l'introduction du karaté dans les programmes des collèges et lycées d'Okinawa, au début du XXème siècle.
En 1905, Hanashiro Chomo écrivit un petit texte novateur, sur le kumite, le combat libre. Ce texte va à l'encontre du discours de l'époque qui voulait que le karaté ne soit enseigné qu'à travers les katas et ses bunkai.
A cette occasion, il est un des premiers, sinon le premier à écrire karaté avec l'idéogramme kara, vide, rompant ainsi avec les origines chinoises de l'art de la main. Il n'est donc pas étonnant de retrouver Hanashiro sensei posant le 25 octobre 1936, avec les sept autres Maîtres qui décidèrent d'abandonner l'idéogramme Kara, Chine, Cathay, au profit de Kara, le vide.
Hanashiro Chomo
Il est aisé, à travers ces trois portraits de maîtres du passé, de constater que tous sont dans des situations particulières pour l'époque : ils viennent de la petite noblesse de l'île, ont fait des études supérieures et accèdent à des postes de responsabilités proche du pouvoir. On comprend mieux comment le karaté a pu être introduit dans les programmes d'enseignement. Force est de constater que le karaté ne s'est ni construit, ni transmis par l'intermédiaire de paysans désarmés !
Enfin, le hasard a fait que ces trois maîtres, de générations différentes, ayant joué un rôle fondamental dans la transmission de ce qui était le Tode vers le karaté, reposent dans le même cimetière, à quelque distance les uns des autres.
(Les différents Maîtres sont présentés à la japonaise, le nom en première position suivi du prénom)
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